Louise Bourgeois : L'Artiste et l'Araignée qui a Tissé son Œuvre

Poursuivons notre exploration des sculpteurs (ou sculptrices) français célèbres. 

Connue pour ses araignées monumentales et ses œuvres viscérales, Louise Bourgeois (1911-2010) est bien plus qu'une sculptrice. Elle est une artiste totale qui a utilisé l'art comme un outil de survie, un moyen d'exorciser les démons d'une enfance douloureuse pour les transformer en une œuvre universelle. Pour comprendre son travail, il faut plonger dans sa psyché, là où la création devient une nécessité vitale, selon sa propre formule : « Je ne suis pas ce que je dis. Je suis ce que je fais. Je suis mon travail. »

Dans cet article, nous explorons qui était Louise Bourgeois, la signification profonde de son araignée Maman et décrypte les thèmes centraux d'une œuvre qui continue de fasciner.

Qui est Louise Bourgeois ? La Fugueuse Devenue Icône

Née à Paris en 1911, Louise Joséphine Bourgeois a eu une carrière tardive mais fulgurante. Pendant des décennies, elle est restée une « complète outsider », connue principalement dans les cercles d'initiés. Tout bascule en 1982 avec sa rétrospective au MoMA de New York, la première consacrée à une femme sculptrice par le musée. Le monde découvre alors une artiste hors norme, une petite femme de plus de 70 ans qui semblait sortie de la nuit des temps.

Cet exil américain, débuté en 1938 après son mariage avec l'historien d'art Robert Goldwater, était pour elle une véritable fuite. Elle se surnommait elle-même « The Runaway Girl », la fugueuse, s'échappant d'une famille et d'un passé étouffants. Ce sentiment est la clé pour comprendre la femme derrière l'artiste.

L'Enfance : La Clé de Toute son Œuvre

Louise Bourgeois l'a répété inlassablement, comme un mantra fondateur : son travail trouvait sa source exclusive dans son enfance. « Mon enfance n'a jamais perdu de sa magie, elle n'a jamais perdu de son mystère, elle n'a rien perdu de sa dimension dramatique », confiait-elle.

Cette enfance est marquée par deux figures antagonistes :

• Le père, séducteur et tyran : Sa famille possédait un atelier de restauration de tapisseries. Son père, un homme autoritaire, a entretenu une liaison pendant dix ans avec la gouvernante anglaise des enfants. Cette situation, vécue sous le toit familial, a été pour la jeune Louise une « immense trahison » qui a nourri une colère fondatrice, la menant à affirmer que c'était cette colère qui la faisait travailler.

• La mère, protectrice et tisserande : Face à ce père infidèle, sa mère Joséphine incarnait la patience, l'intelligence et la réparation. Femme forte et féministe avant l'heure, elle réparait méticuleusement les tapisseries anciennes. C'est elle qui l'a poussée vers les études en lui disant : « Ne perds pas ton temps à faire de la tapisserie, c'est idiot. [...] Va au lycée, va chercher une éducation. »

La mort de sa mère, alors que Louise n'a que 20 ans, est une rupture psychique. Désespérée, elle commet une tentative de suicide en se jetant dans la Bièvre, la rivière proche de chez elle, avant d'être sauvée par ce même père qu'elle haïssait. Ce drame scelle le lien indéfectible entre l'eau, la perte et la survie dans son œuvre.

"Maman", l'Araignée Protectrice : Ode à une Mère Tisserande

L'une des questions les plus fréquentes concernant l'artiste est la signification de son œuvre la plus célèbre : l'araignée. Pour beaucoup, cet animal inspire la peur. Pour Louise Bourgeois, il symbolise tout le contraire.

L'araignée, et en particulier sa sculpture monumentale baptisée Maman, est une véritable déclaration d'amour à sa mère, Joséphine. Issue d'une famille de restaurateurs de tapisseries anciennes, Louise a grandi dans l'atelier familial. Sa mère était une tisserande, une femme patiente, intelligente et protectrice qui passait ses journées à réparer, à reconstituer, à tisser des fils pour redonner vie à des œuvres abîmées.

"Dans la mythologie de Louise, l'araignée est un animal bénéfique qui tisse sa toile et qui protège."

L'artiste voyait donc dans l'araignée une métaphore parfaite de sa mère :

• La Tisserande : Comme sa mère réparait les tapisseries, l'araignée tisse sa toile.
• La Protectrice : L'araignée protège ses œufs et son environnement. Louise s'est toujours sentie en sécurité auprès de sa mère, face à un père autoritaire et infidèle.
• La Réparatrice : L'acte de tisser est un acte de réparation. Pour Louise, créer était une façon de se "réparer" elle-même de ses traumatismes d'enfance.

L'araignée Maman n'est donc pas un monstre, mais un refuge. C'est le portrait puissant d'une mère fiable, forte et essentielle à sa survie émotionnelle.

Une Œuvre Née de la Blessure : Exploration des Thèmes Majeurs

L'ensemble de l'œuvre de Louise Bourgeois peut être lu comme un journal intime sculpté, dessiné ou cousu. Chaque pièce est une tentative de donner forme à une émotion, souvent née d'une immense colère ou d'un profond sentiment de trahison lié à son enfance, marquée par l'infidélité de son père qui avait installé sa maîtresse (la gouvernante des enfants) au domicile familial.

La Destruction du Père : Une Vengeance Symbolique

Cette installation spectaculaire est une mise en scène cathartique de sa colère. Elle y met en scène la « terrifiante table présidée par le père » où, exaspérés, les enfants finissent par le maîtriser, le démembrer et symboliquement le dévorer. Pour créer les formes organiques de l'œuvre, elle est allée jusqu'à acheter « des épaules d'agneau, des cuisses de poulet » pour les mouler dans du plâtre et du latex. L'art devient ici un acte physique, presque cannibale, pour digérer le traumatisme.

Les Femmes-Maisons : Entre Prison et Refuge

Réalisées dès les années 40, les Femmes-Maisons sont des dessins et sculptures où un corps de femme est surmonté d'une maison, cachant sa tête et le haut de son corps. Cette image saisissante incarne la dualité de l'identité féminine et du foyer, perçu à la fois comme un lieu de sécurité (un refuge) et une prison domestique (un enfermement).

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Faire, Défaire, Refaire : Le Cycle de la Création

Plus tard dans sa vie, Louise Bourgeois s'est tournée vers le textile, utilisant les vêtements, draps et mouchoirs de sa propre vie. Cet acte de coudre, rapiécer et transformer était un retour aux origines, à l'atelier de sa mère. Sa devise, "I do, I undo, I redo" (Je fais, je défais, je refais), résume parfaitement sa philosophie : l'art est un processus sans fin de construction, de déconstruction et de reconstruction de soi.

Cet article a été inspiré par le document d'Arte :